Par Isabelle Grégoire, publié le 29/06/2012, L’express.fr
Longtemps snobés par les gourmets, les vins et fromages canadiens sont aujourd’hui capables de rivaliser avec leurs cousins européens.
D’est en ouest, les spécialités varient selon les provinces, leur climat et leur histoire. Sur les 667 fromages fins répertoriés au Canada, 70% proviennent du Québec -héritage français oblige- dont certains écrèment sans peine la concurrence d’outre-Atlantique. Le Cendrillon, un chèvre concocté dans la Belle Province, a ainsi été sacré meilleur fromage au monde lors du World Cheese Award 2009, devenant le premier non européen à décrocher ce trophée. Question vins, en revanche, ce sont les provinces de l’Ontario et de la Colombie-Britannique qui se grisent de leur réussite -la douceur de leur climat étant propice à la culture du raisin.
Le lait cru: un symbole culturel au Canada
Ce n’est pas d’hier que des artisans créent des fromages et des vins au Canada. Dès les débuts de la Nouvelle-France, les premiers colons fabriquent des fromages fleurant bon la mère patrie. Puis, après la conquête britannique, le cheddar supplante les recettes françaises traditionnelles – demeurant aujourd’hui encore une spécialité prisée à travers le pays. À partir des années 1980, la production s’élargit peu à peu et les fromageries artisanales (à base de lait de vache, de chèvre ou brebis) prolifèrent. Le Québec en compte aujourd’hui 110, loin devant l’Ontario (37).
Le Cendrillon a été sacré meilleur fromage au monde
Sous la bannière Fromages d’ici, la Fédération des producteurs de lait du Québec multiplie les pubs pour faire mieux connaître au grand public les 300 spécialités locales. Issus des différentes régions de la province, le Ciel de Charlevoix (pâte onctueuse, légèrement persillée), le Louis d’or (une belle meule bio de 40 kg), le Pied-de-vent (fermier au lait cru) et autres Paillasson de l’isle d’Orléans (qui serait le tout premier fromage d’Amérique, apparu en 1635) s’imposent de plus en plus sur les plateaux.
En plus de la variété et de l’ancienneté, un autre ingrédient distingue les fromages du Québec de ceux du reste du pays: le lait cru. En 1996, celui-ci a pourtant failli être banni par le gouvernement fédéral canadien qui l’estimait néfaste pour la santé. L’affaire a provoqué un vaste débat national et une véritable… “montée de lait” (déformation québécoise de “soupe au lait”, exprimant une colère soudaine) dans la Belle Province. Le lait cru est ainsi devenu un symbole culinaire et culturel, les Québécois refusant d’obéir aux diktats d’une alimentation aseptisée.
Le Cheese rolling festival, un rituel depuis 2007
Après en avoir fait tout un fromage, Ottawa a finalement battu en retraite.Bien que la vente de lait cru soit interdite au Canada, celui-ci peut être utilisé pour fabriquer des fromages -à condition que ceux-ci soient affinés pendant au moins 60 jours. Depuis 2008, le Québec -bastion nord-américain des amateurs de fromages au lait cru- autorise toutefois un vieillissement plus court mais suivant des règles sanitaires beaucoup plus strictes que celles prévalant en Europe.
Ce sont toutefois les vins de glace qui se distinguent le plus sur le plan international
Des fromages fins pointent aussi leur nez hors du Québec -en Ontario notamment, dont les bocconcini (mozzarella), goudas et autres cheddars ravissent les palais les plus avertis. Comme leurs collègues québécois, les producteurs laitiers canadiens ne ménagent pas leurs efforts en matière de marketing. Depuis 2007, un étonnant Cheese Rolling Festival est même organisé chaque été, dans la station touristique de Whistler, en Colombie-Britannique. Les participants à cette course, inspirée d’une tradition anglaise, doivent attraper une meule de 5 kg dévalant la montagne… exploit que personne n’a encore jamais réussi à accomplir.
Les Canadiens anglais ne font cependant pas que rouler des fromages. Ils prennent aussi de la bouteille -en tirant des vins de plus en plus appréciés des connaisseurs. Il est loin le temps où le médiocre Baby Duck -un mousseux blanc ou rouge- était le best-seller des vins canadiens! Au fil des ans, de nouveaux cépages, plus nobles, ont été implantés, et les vignobles de l’Ontario et de la Colombie-Britannique offrent désormais d’excellents crus. Si les blancs sont les mieux cotés (chardonnays et rieslings notamment), certains rouges commencent à s’illustrer (gamays, pinots noirs, shiraz…).
Ce sont toutefois les vins de glace qui se distinguent le plus sur le plan international -depuis que le Inniskillin (produit en Ontario) a remporté le Grand prix d’honneur au salon VinExpo de Bordeaux, en 1991. Élaboré à partir des raisins ayant gelé sur la vigne, ces vins liquoreux haut de gamme sont exportés dans le monde entier.
Des itinéraires qui donnent l’eau à la bouche
Les vignobles canadiens soumis au froid
Bien qu’en moindre quantité que l’Ontario et la Colombie-Britannique, le Québec produit aussi du vin de glace. Mais pas seulement. Depuis une dizaine d’années, le nombre de domaines viticoles de la province a explosé (117 à ce jour) et la qualité des vins a suivi. Charles-Henri de Coussergues en témoigne. Installé au Québec depuis une trentaine d’années, ce fils de vigneron nîmois a cofondé en 1982 le florissant vignoble de l’Orpailleur, à Dunham, dans la région des Cantons-de-l’Est.
Après une longue série d’échecs essuyés par les colons français et par les religieux en mal de vin de messe, de Coussergues a été le premier viticulteur à vaincre l’hiver québécois. “Pour les protéger du gel, nous renchaussons les ceps de vignes avec de la terre à l’automne et les déchaussons au printemps, explique-t-il. Une méthode qui a été reprise par d’autres vignerons de la province.”
Au milieu des années 2000, l’apparition de nouvelles variétés de vignes résistantes au froid a permis aux vins québécois de se bonifier – à l’instar des autres vins du Nouveau Monde. “En dépit de cette évolution, les préjugés sont tenaces et beaucoup croient encore que nos vins sont imbuvables, dit Charles-Henri de Coussergues, qui préside l’Association des vignerons du Québec. N’empêche que, lors des tests de dégustation à l’aveugle, les sceptiques sont confondus !”
Via http://www.lexpress.fr/emploi-carriere/emploi/le-canada-un-pays-de-vins-et-de-fromages_1131462.html